Pubblichiamo l'articolo di Riccardo Petrella apparso sul giornale on line RTBF.BE lunedì 15 aprile 2013 con la promessa che sarà al più presto tradotto in lingua italiana.
L'eau
est un bien commun et doit le rester. C'est le credo de Riccardo
Petrella, économiste critique, qui constate que ce n'est pas ce point de
vue qui anime la Commission européenne quand elle définit sa politique
de l'eau
La technocratie européenne et l’eau
Jadis,
nous avons cru que le ciel était le lieu où les nuages se formaient et,
ensuite, la pluie tombait sur la Terre où elle devenait source de vie
et d’où, par évaporation, elle remontait au ciel pour retomber de
nouveau sur notre planète. Ainsi le cycle de l’eau alimentait le cycle
de la vie sur la Terre. Nous avons aussi cru que la Terre était " le
lieu de la vie " - l’oikos, en grec - où se trouvaient les " sources de
vie" (les eaux, les forêts, le monde végétal et animal ….). Nous avons
pensé que l’eau était un don de la nature, essentiel et insubstituable
pour la vie et, donc, un bien commun, social, collectif auquel tout être
humain avait droit d’accès, en raison du simple fait d’exister.
Dans
cette vision, nous étions convaincus, comme le sont encore aujourd’hui
les peuples amérindiens et autres populations indigènes du monde, que la
Terre était notre " Pachamama " (la Mère Terre) et qu’elle était
patrimoine commun de tous ses habitants, un patrimoine inaliénable,
public. Certes, au fil des siècles, nous sommes parvenus à considérer
que chaque peuple, chaque État, avait un droit de propriété et de
souveraineté sur la terre dans le but de garantir le droit à la sécurité
d’existence de ses citoyens, mais dans le cadre, toutefois, du respect
mutuel des droits de chaque peuple et de tout être humain à la sécurité,
et d’une coopération internationale bien définie dans l’intérêt de
l’humanité et de la vie sur terre. Les pratiques de puissance et de
domination à l’origine de tant de guerres et de dévastations jusqu’à nos
jours n’ont rien enlevé de vrai aux conceptions du ciel et de la terre
ci-dessus décrites.
Eh
bien, au cours des 40 dernières années au moins, les classes
dirigeantes des pays du " Nord ", parmi lesquelles figurent les grands
groupes multinationaux européens privés de l’eau, ont envoyé aux orties
ces conceptions du ciel et de la terre. Pourquoi l’ont-elles fait,
comment ont-elles pu le faire ? De l’avis de nombreux analystes, c’est
parce que leur vision de la vie est devenue de plus en plus
techno-productiviste et financière marchande. En particulier, la "
technocratie européenne " des 30 dernières années, publique et privée,
composée par des " représentants " des pouvoirs forts de
l’agro-business, de l’industrie énergétique, du monde universitaire et
des services , des entreprises de production, du commerce et de la
finance globalisée, a joué un rôle fondamental sinon prédominant dans ce
changement de perspectives.
Prenons
l’exemple du " Plan de sauvegarde des ressources hydriques européens "
publié le 14 novembre 2012 par la Commission européenne. Il s’agit du
document politique le plus important produit par l’exécutif européen
dans le domaine de l’eau après l’adoption par l’UE de la Directive Cadre
Européenne sur l’eau de l’an 2000. Si approuvé, le " Plan " est destiné
à orienter la politique européenne de l’eau jusqu’en 2030. Les
changements principaux concernent l’idéologie de l’eau et le rôle de "
l’eau technologique ".
La " nouvelle " idéologie de l’eau : les trois principes fondateurs
Premier
principe : selon le " Plan ", l’eau est " une ressource vitale pour les
êtres humains, la nature et l’économie ". Le " Plan " ne donne aucune
autre définition de l’eau. Il ne fait aucune référence à d’autres
concepts tels que l’eau bien social, bien commun, patrimoine de la vie,
héritage de l’humanité, bien public. Le mot clé est " ressource ",
surtout pour l’économie. L’eau est traitée au même titre que le pétrole,
le fer, l’uranium, les semences, le sol. Le postulat à la base de ce
choix est que, d’après la Commission européenne, il n’y a pas de bonne
santé pour les êtres humains, ni de bon état écologique de l’eau, si
l’eau n’est pas gérée efficacement sur le plan économique. D’autant plus
que le " Plan " a adopté la thèse sur l’inévitabilité de la raréfaction
croissante de l’eau. Par conséquent, la politique de l’eau consiste
essentiellement, pour la Commission européenne, en une politique de
gestion efficace d’une ressource rare.
Deuxième
principe : pour gérer l’eau de manière efficiente, il faut, selon le "
Plan " un système de prix fondé sur la valeur économique, monétaire, de
l’eau et de l’ensemble des éléments environnementaux s’y rapportant.
Jusqu’à présent on a monétisé les services hydriques? Maintenant on veut
monétiser l’eau elle-même. Attention. Dans ce cadre de croyances, les
coûts de l’eau doivent être récupérés par l’investisseur de manière à ce
que le taux de profit net soit suffisamment attrayant pour inciter les
détenteurs de capitaux à investir dans le domaine de l’eau. Sans cela –
dit-on - les capitaux privés négligeraient l’eau et n’investiraient dans
l’innovation technologique dans le domaine de l’eau. Or, la "
technocratie européenne " a misé sur l’innovation technologique pour en
faire le moteur principal de la réalisation des objectifs du " Plan " en
approuvant à cette fin le " Programme européen pour le Partenariat de
l’innovation dans le domaine de l’eau ", le 12 décembre 2012, un mois
après la publication du " Plan ".
Enfin,
troisième principe : le " Plan " estime qu’il est impossible de
concevoir et réaliser une politique efficiente de la ressource eau en
Europe sans une forte implication des " porteurs d’intérêt " ("
stakeholders "), auxquels revient, dans le cadre du marché unique
européen, de décider de l’allocation des ressources hydriques, en
fonction des coûts et des bénéfices des différents usages concurrents et
alternatifs. Le " Plan " fait systématiquement référence au rôle et
importance des " stakeholders " pour la gestion efficiente de l’eau. Par
contre, il ne mentionne jamais le mot " citoyens ". De même, le " Plan "
parle sans cesse de marché, mais jamais de ville, alors que la ville
est l’espace social construit central de l’organisation des sociétés à
travers le territoire et, en tant que tel, l’espace déterminant pour la
politique et la gestion de l’eau. Deux autres paroles clé se font
remarquer par leur absence du dictionnaire du " Plan " : droit humain à
l’eau et démocratie. Etonnant ?
L’eau " technologique " " au secours " de l’eau " naturelle "
On
vient de le voir, le "Plan " accorde également une place centrale à
l’innovation technologique. La " technologie salvatrice " est censée
donner ses bienfaits surtout dans trois directions : l’augmentation de
la productivité hydrique : produire les mêmes biens et services, voire
plus, avec moins d’eau (" more crops per water drop ") ; l’augmentation
de l’offre d’eau par le traitement et le recyclage des eaux usées ; et,
surtout, l'augmentation de l’offre par le dessalement de l’eau de mer.
Dans les trois cas, l’eau cesse d’être un bien/produit de la nature pour
devenir un produit industriel (artificiel) comme tout autre produit
fruit du génie industriel humain. Rien de quoi, en soi, être inquiets,
si ce n’était que l’eau " technologique " est conçue, réalisée et gérée
principalement par des sujets économiques privés et soumise aux logiques
des intérêts privés. Dès lors, le producteur privé a tout le droit de
demander le paiement d’un prix pour avoir accès à l’eau " qu’il a
fabriquée ". Ce dont, d’ailleurs tout bruxellois, comme tout moscovite,
ou habitant des collines de la Birmanie, des favelas de Rio de Janeiro
ou paysan du Kerala en Inde, a déjà été convaincu. Pourtant, l’accès à
l’eau potable et à l’assainissement a été reconnu par l’AG des Nations
Unies le 28 juillet 2010 comme un droit humain universel. Rien à faire,
les citoyens continuent à être obligés de payer l’eau car nos dominants
ont imposé le principe que les coûts économiques monétaires des droits
humains doivent être pris en charge directement et individuellement par
les bénéficiaires. La monétisation marchande des droits humains et
sociaux constitue une régression considérable inacceptable de notre "
civilisation " par rapport aux grandes avancées sociales qu’ont été
l’Etat de droits et des biens communs et l’Etat de la sécurité sociale
collective. Apparemment, la " technocratie européenne " n’en fait pas un
problème. Le don du ciel est laissé aux vieillies " imaginaires
mythiques ". Quant à la Terre, les résultats du Troisième Sommet Mondial
de la Terre, dit " Rio+20 " de 2012, l’ont confirmé : pour les groupes
dominants la Terre n’est plus l’oikos des tous ses habitants, mais une "
ressource vitale" pour la croissance économique – depuis quelques
années dite " verte " - au service, en Europe, de l’impératif
stratégique de l’UE 2020 à savoir " A Resource Efficient Europe ". Dans
ce cadre, l’objectif " Water Efficient Europe " donne son sens véritable
au " Plan de sauvegarde des ressources hydriques européennes ". Il est
temps de remettre le ciel et la terre et surtout la vie à la place qui
est la leur. Il faut libérer l’eau et la nature (la vie et les relations
humaines) de la prison dans laquelle leur monétisation les a enfermées
et re-publiciser les biens et les services essentiels et insubstituables
pour la vie.
Riccardo Petrella, Président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l'eau
Économiste
et politologue, Riccardo Petrella est considéré comme un des penseurs
de l’altermondialisme Il a fondé en 91 le groupe de Lisbonne, qui
réfléchit de manière critique sur les formes de la mondialisation.
Depuis des années, il se bat pour le droit à l’accès à l’eau. Son
dernier ouvrage : " Pour une nouvelles narration du monde ", (Ecosociété
2007) est une critique du fonctionnement de la société capitaliste
actuelle.
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